Comment en suis-je venue à imaginer une méthode de lecture en B.D. ?

La naissance d’une méthode de lecture différente.

C’était une nuit de décembre 2015. Nous passions les vacances de Noël à Miami chez ma belle sœur, et plongée dans mes réflexions, je n’arrivais pas à trouver le sommeil.

Nohan venait d’avoir 6 ans. A l’époque, j’avais du mal à l’intéresser à la lecture et cela m’inquiétait. Je réfléchissais à une méthode qui pourrait non seulement capter son intérêt, mais surtout lui donner envie d’y revenir et d’apprendre la suite.

En effet, toutes les méthodes que j’avais testées avec lui étaient trop répétitives. De page en page, toujours le même schéma : des lettres à combiner et à lire, sans autre but que l’apprentissage. Autant vous dire que l’ennui se faisait sentir dès la seconde leçon. Oh on avait essayé les lettres rugueuses Montessori, les lettres qui s’accrochent au frigo, les petits personnages du monde des Alphas… Mais voilà, Nohan, autiste asperger de 6 ans bien dans sa tête et qui sait ce qu’il veut (et ce qu’il ne veut pas !) se lassait presque instantanément. La répétition sans but, ce n’était pas du tout sa tasse de thé.

Il avait besoin qu’on aille droit au but et qu’on emploie directement le savoir acquis pour quelque chose de concret… et d’amusant.

Il fallait sortir de la vision d’adulte.

Nous créons des méthodes que nous pensons intelligentes, mais nous nous basons sur des visions d’adultes, avec des attendus d’adultes. Nous voulons que nos enfants apprennent à lire, et nous voyons à long terme, nous savons que cela leur ouvrira une porte vers le reste du monde. “La” porte d’accès au reste de la connaissance ! En tant qu’adultes, nous savons nous forcer lorsque cela est nécessaire. Alors même si l’apprentissage de la lecture est long et pénible, nous partons du principe qu’il “faut bien en passer par là”.

Sauf que les enfants sont plongés dans l’instant présent. Amener un enfant à un long apprentissage rébarbatif dont le but est plus clair pour nous que pour lui, c’est à peu près impossible sans le contraindre. Au sein d’une classe la position de l’enseignant, l’interdiction de se lever de sa chaise et l’élan moteur de la classe donnent une certaine docilité. “Bon bein puisqu’on est là et qu’on n’a pas le choix…” Et puis, c’est pour votre bien !!!

En école à la maison, nous n’avons pas ces éléments moteurs. L’enfant est chez lui dans son cadre sécurisé et son instructeur est son parent avec lequel il se sent en confiance pour lui dire lorsque ça le barbe complètement et que “NON!” il n’en veut pas ! Il nous montre comment il fonctionne, indépendamment des convictions scolaires culturellement établies. Passer la journée sur une chaise ? Non merci !

Repenser les apprentissages avec une vision d’enfant.

Je trouve que c’est une très belle occasion de repenser cet enseignement et de le proposer autrement. Cela m’a amené à réfléchir sur la manière dont fonctionne le cerveau et dont s’imprègnent en nous les connaissances.

Nous avons longtemps cru que nous devions contraindre l’enfant afin qu’il acquiert des connaissance. Pourtant, l’enfant apprends constamment. Ce mécanisme est déjà en lui. Un enfant se tourne vers un sujet lorsqu’il éprouve de la curiosité envers lui. Curiosité, plaisir, amusement, satisfaction. C’est cela qui les fait vibrer et c’est sur cela que je souhaitais me baser pour donner à mes enfants la motivation d’apprendre un sujet.

Pourquoi ne pas rendre l’apprentissage de la lecture amusant, tout simplement ? Mais pas avec notre vision d’adulte ! Pas avec de beaux livres remplis de textes ponctués de trois images sans âme espérant vainement susciter un petit éclair d’intérêt chez le jeune lecteur afin qu’il ne se détourne pas trop vite de la page.

Non, avec une méthode réellement faite pour lui, sur mesure, adaptée à sa compréhension du monde et à sa notion de l’amusement. En se mettant à sa hauteur, en testant ce qui fonctionne et en se réajustant si cela ne fonctionne pas.

Oui, nous pouvons rendre les apprentissages marrants et donner envie d’y revenir et d’aller plus loin : le challenge, lorsqu’il est guidé par le plaisir et la satisfaction, nous emmène loin. Les créateurs de jeux vidéos l’ont bien comprit… !

Une méthode sur mesure.

Cette nuit là, à Miami, mon esprit carburait à 100 à l’heure. Les premières images d’une méthode de lecture adaptée à Nohan me venaient en tête. J’écrivais sur mon téléphone les premiers petits textes de ce qui deviendra Le Monde sans Mots.

J’ai alors imaginé une méthode partant d’une histoire en bande dessinée, où les personnages apprenaient à parler en même temps que mon enfant apprenait à lire. Je me suis adaptée à ce qui lui faisait plaisir : peu de texte, des images suffisamment claires en elles-mêmes pour que le texte soit vite compris (pour que son cerveau vite sur-stimulé aille droit au but et ne s’égare pas). Dans l’histoire, le lecteur est sollicité pour lire les bulles de textes que prononcent les héros, mais aussi pour interagir avec l’univers et faire progresser l’histoire. Ainsi, il y revient, il souhaite savoir la suite. Il s’attache aux personnages. Une méthode où les répétitions se fond au fil de l’aventure, sans qu’on s’en rende compte.

Mais comment rendre cette méthode réelle ?

Bref, j’avais le projet en tête, mais pas les talents en dessin. Oh j’adorais dessiner ! J’avais même fait la prépa pour entrer aux beaux arts avant de me tourner vers le domaine de la santé. Mais cela faisait des années que je ne dessinais plus et je ne me sentais pas compétente, surtout que je n’avais pas de connaissances pour les dessins à faits à l’ordinateur.

J’ai alors engagé une amie, Delphine (Chklé), qui avait fait les illustration de notre magazine Pitaya. Au départ, mes personnages étaient Lila et Ali et ressemblaient à ça :

Mais ce projet me revenait cher (j’avais même fait un appel aux dons, et j’éprouve toujours de la gratitude envers les quelques personnes qui ont cru en moi et qui ont tout rendu possible !) et m’offrait trop peu de liberté. Insatisfaite, incapable de le financer correctement, j’ai eu une période de déception où j’ai bien failli tout abandonner. J’avais l’impression de tenir un truc chouette au bout des mains mais de ne pas pouvoir en faire quelque chose de concret. C’était immensément frustrant.

Puis un jour, j’ai essayé de recréer Lila à ma façon. Et j’ai trouvé mon personnage mignon ! Surprise d’y arriver, je me suis dit “et si j’essayais de faire une page, pour voir ?” Et j’ai refais la première page de Delphine… Puis les autres !

Est devenu :

Je pris le parti de tout faire aux crayons de couleurs, et de faire comme si c’était un style assumé (le style “fait main” hahaha !). J’écrivais les textes à la main pour les disposer à l’endroit précis que je voulais dans l’image. Je fis même les bordures des cases à main levée pour que tout soit bien raccord.

Petit à petit, à force de dessiner, mes traits de sont assurés et mes personnages ont eu plus d’allure. Entre le tome 1 et le tome 2, je suis ainsi passée de ça à ça :

Dans l’histoire, j’ai expliqué au lecteur que cette évolution était grâce à lui. Qu’en faisant progresser l’histoire, non seulement son vocabulaire s’enrichissait, mais le monde entier autour des personnages… N’est-ce pas là toute la beauté de la chose ? Je les fais progresser autant qu’ils me font progresser. C’est un travail que l’on fait ensemble.

Au final, à la maison, c’est surtout Shani, 2 ans plus jeune que Nohan, qui a bénéficié de la BD et des personnages, auxquels elle s’est énormément attachée. Elle m’a beaucoup motivée.

Mes sources d’inspiration.

En plus de m’inspirer de mes enfants, et je le répète, de créer cette méthode avant tout pour eux, je me suis basée sur une méthode syllabique classique très complète, celle de Ghislaine Wettstein-Badour, “Bien lire, bien écrire”, qui ne comporte absolument aucune image (elle y tient). Au départ, je faisais à ma sauce, mais à force je me suis appuyée sur sa méthode pour que la progression soit cohérente et plus complète que celle des manuels scolaires simples. Cependant, le challenge est énorme, cela me fera faire une BD en pas moins de trois tomes.

Je me suis aussi beaucoup inspirée des livres “Turlututu” d’Hervé Tullet, pour leur côté interactif qui fonctionne TELLEMENT BIEN avec les enfants. Et de nombreux auteurs de BD pour leur humour (les schtroumpfs notamment, dont on retrouvera clairement l’esprit dans ma conjugaison en B.D.)

Aller plus loin.

Je n’ai fait qu’une méthode parmi des milliers d’autres, adaptée à ma vision des choses et à mes propres enfants. Je n’ai aucune prétention. Mais cette expérience m’a appris qu’une vraie méthode éducative prend de la force si elle fait partie d’un univers, que l’on sympathise avec ses personnages, qu’ils deviennent des amis sur lesquels, d’une certaine façon, on peut compter pour nous soutenir dans nos apprentissages et nous accompagner. On a envie d’avoir la suite de leurs aventures, et on s’instruit avec plaisir, sans trop s’en rendre compte à vrai dire. C’est pourquoi je crée beaucoup de supports avec Lila et Ely.

Je ne vous cache pas que mes créations sont imprégnées de ma personnalité (lire à ce sujet l’article “Les idées cachées derrière mes créations), ma vision du monde tournée vers la nature, les fruits, la protection des animaux. Mais comme toujours je n’impose rien. Je ne fais que créer un univers.

J’espère que cet univers vous touchera, et surtout, qu’il apportera du plaisir et de la joie à vos enfants, comme il en a apporté aux miens.

Marion

Je vous laisse avec deux images de plus, juste pour le plaisir de montrer aussi le joli travail que Delphine avait fait et qui m’a inspiré :

2 réflexions sur « Comment en suis-je venue à imaginer une méthode de lecture en B.D. ? »

  1. Sophie

    Bonjour, je trouve cette idée absolument génial.
    Merci Marion
    J’ai decouvert ce blog c1r j’ai un bilan de controle negatif pour mon fils, controle abusif et bilan faussé. Je compte faire un recours, ton experience va m’aider merci beaucoup
    Sophie.

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