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11 années de #lifeschooling : notre “non-rentrée” des classes 2020.

Nous sommes en septembre. Nohan a 11 ans et Shani 9. Pourtant, chez nous, il n’y a pas eu de rentrée scolaire.

C’est la 12ème année que nous « piratons » l’instruction, c’est à dire que nous apprenons à notre manière. Ici, nous favorisons les apprentissages autonomes, choisis librement par l’enfant.

Peut-être n’avez-vous jamais entendu parler de ce concept et cela vous surprend-t-il ?

  • Non, mon enfant ne passe pas ses journées entières assis à une table à écrire en écoutant un monologue.
  • Non, il n’ouvre pas tel livre de connaissance à telle heure, comme nous l’avions nous même fait à l’école.
  • Non, il n’est pas jugé par un système de notation à chaque fois qu’il produit une création, ni brimé par ces mêmes notes s’il a besoin de plus de temps que d’autres enfants pour acquérir telle ou telle connaissance.

Je préfère respecter son rythme et utiliser les centres d’intérêt vers lesquels il se tourne comme support pour ses apprentissages. Je laisse libre court à son élan de curiosité naturel et je lui fait confiance (c’est ça le plus dur^^). Mon enfant s’appui sur le plaisir qu’il éprouve à acquérir des connaissances. Les obstacles rencontrés deviennent des défis stimulants qui lui donnent envie de se dépasser, son progrès lui apporte de la satisfaction car il a du sens pour lui : il lui sert tout simplement à aller plus loin. Ainsi, même ce que nous appelons habituellement des «échecs» deviennent des richesses, des expériences constructives et pleines d’enseignement.

Thomas A. Edison, inventeur du phonographe, de l’ampoule électrique et du cinéma, a arrêté l’école à 7 ans et était autodidacte. Expérimentateur insatiable, il a déposé 1074 brevets dans sa vie. Lorsqu’il parle des échecs survenant lors de ses expériences, il dit :

«Je n’ai pas échoué. J’ai seulement trouvé

10 000 solutions qui ne fonctionnent pas.»

Thomas A. Edison.

Parce qu’au fond, pourquoi instruisons-nous ?

Le but de l’école (outre celui de servir de garderie aux parents qui travaillent^^) est d’enseigner un socle commun de connaissances qui nous offre une base sociale commune. Cela nous permet de nous comprendre (langage, écriture, culture commune…) et de pouvoir intégrer le monde du travail avec une relative égalité.

Cela, dans le fond, c’est plutôt chouette.

Si je pouvais y changer une chose, ce serait la forme, c’est à dire la façon dont on est amené à cette base commune.

  • L’école actuelle semble voir la connaissance comme un moyen d’accéder à la compréhension du monde. Elle fait sentir le manque de connaissances comme une carence, et les «mauvais élèves» n’arrivant pas à avoir accès à cette base commune, en pâtissent.
  • Pour ma part, au contraire, je vois la compréhension du monde comme moyen d’accéder à la connaissance.

Apprendre n’est-il pas inné ?

Le fait même d’apprendre est un processus inné, inscrit dans nos gènes. Dès notre venue au monde, nous découvrons l’environnement dans lequel nous sommes immergés. Nous observons avec curiosité et intérêt, nous reproduisons avec satisfaction, nous avons envie de comprendre car cela nous apporte du plaisir. C’est parce que nous avons baigné dans un environnement où les gens parlaient que nous avons spontanément acquit la parole. On ne nous a pas enseigné l’alphabet avant de pratiquer le langage… tout simplement parce que cela n’aurait pas fait sens en nous !

C’est parce que nous sommes en immersion dans le monde et que nous l’explorons, que nous nous mettons à le comprendre et que par curiosité, pour aller plus loin, nous accédons à la connaissance. Dans ce cas de figure, nous sommes actifs, et non passifs, dans l’acquisition de notre propre savoir. Nous avons un potentiel incroyable, qui ne peut être qu’un atout, tant que notre soif de découverte est encouragée et non brimée.

« L’intelligence n’est pas la capacité de stocker des informations, mais de savoir où les trouver.»


Albert Einstein

De nos jours en particulier, internet offre une bibliothèque de connaissances d’une portée jamais vue auparavant dans l’histoire de l’humanité. L’échange, le partage et la possibilité d’accéder aux richesses d’autrui est un moteur extraordinaire de découverte, d’évolution personnelle et d’évolution globale de la société.

Comment ?

Cela se fait tout simplement sur la base de la motivation personnelle : envie, plaisir et joie.

J’ai tout le temps ce dessin animé qui me vient en tête lorsque j’évoque ce sujet : Monstres & Compagnie. Dans cette histoire, à chaque fois que les monstres réussissent à faire peur à un enfant, ils remplissent les réserves d’électricité qui font fonctionner leur monde. Jusqu’au jour où (spoil alert !!^^) ils découvrent qu’en faisant rire les enfants, l’énergie déployée est immensément plus grande ! Ils cessent alors d’alimenter la peur pour choisir la joie, beaucoup plus prolifique.

Que pensez-vous d’une société où on n’apprend pas les choses par obligation, dans la crainte de réprimande ou de mauvaises notes, mais dans la joie, parce que ces connaissances-là nous apportent du plaisir et de la satisfaction en elles-mêmes ?

Lors de l’année qui s’est écoulée, Nohan, 11 ans, a apprit par lui-même et à sa propre initiative à parler anglais. Je m’en suis rendue compte le jour où en passant devant son ordinateur, j’ai surpris une de ses discussion, visiblement animée et pleine de rires, avec un autre adolescent… totalement en anglais !! Je suis restée tout bonnement sidérée. Lorsque je lui ai demandé comment il s’y était pris, il m’a expliqué qu’il s’était mis à suivre des Youtubeurs américains dans un domaine spécialisé qui le passionnait et qui n’avait pas d’équivalent en français. Il s’agissait de certains jeux vidéos dont il était fan. Il affichait parfois des sous-titres en anglais pour mieux décortiquer les mots qu’il entendait. Le plaisir manifeste que les youtubeurs prenaient à partager leurs parties et leurs astuces, les répétitions constantes de leurs formulations orales et le lien avec l’image affichée lui ont rapidement permi de comprendre le sens des phrases. Il a également décidé de basculer l’interface de ses jeux vidéos en langue anglaise pour faire plus facilement le lien avec les vidéos qu’il regarde ainsi que pour élargir sa compréhension. Il pouvait reproduire, imiter, aller plus loin.
Comme ces jeux se déroulent en ligne avec d’autres joueurs de toutes nationalités, il s’est fait spontanément des amis anglais en jouant, avec lesquels il parle et joue très régulièrement en équipe. Ça lui demande de comprendre, de réagir, d’interagir ; d’avoir les bons mots pour faire progresser l’aventure…

C’est tellement éloigné du faible niveau avec lequel je suis moi-même sortie du lycée que je ne peux qu’être émerveillée par cet élan spontané vers la connaissance, une fois qu’elle a du sens pour nous, une fois qu’on y voit un but attrayant.

J’estime que chacune des matières inscrites sur le socle commun des compétences scolaires peut être amenée d’une façon attrayante, informelle et ludique. Lorsqu’il s’agit de faire découvrir à autrui un nouveau domaine de compétence, c’est notre propre passion et nos connaissances, nos anecdotes ou interactions marrantes avec ce domaine qui vont nous permettre d’attiser la curiosité, l’intérêt et l’envie d’en savoir plus de celui qui nous écoute. Nous avons tous en mémoire un professeur qui a su nous captiver par sa propre passion…

Laisser les enfants nous montrer le chemin.

Il y a une chose qui me semble importante : l’enfant est beaucoup plus dans le jeu que l’adulte. C’est pour cela que pour moi, les enfants ont un rôle de guide pour nous montrer la façon dont ils perçoivent tel ou tel domaine et la manière dont il peuvent le comprendre avec efficacité.

Ce n’est pas à nous de les diriger mais à eux de nous orienter, chacun à sa façon, avec son individualité, ses besoins, son rythme.

Je vois tant de personnes faisant l’école à la maison en reproduisant ce qui est fait à l’école : fiches à remplir, textes à lire, questionnaires… Si nous acceptions de nous laisser guider, il est peu probable que les enfants cette génération 2020 nous demandent ce type de travaux. De nos jours, il nous demanderaient des livres audio, des mangas, des jeux de société, des jeux vidéo, du bricolage ou des travaux artistiques, des musées interactifs, des vidéos YouTube…


Exposition-expérience interactive “Faire corps” à la Gaîté Lyrique, Paris 2020

Et pourquoi pas ?

Construire ensemble le futur.

Ces moyens sont très ludique, très interactifs et donc, selon moi, de grandes efficacité et rapidité pour transmettre les connaissances. Pourquoi passer des jours à essayer de faire rentrer par cœur dans la tête d’un enfant ce qu’il pourrait comprendre par lui-même en quelques heures à l’aide du plaisir qu’il en retire ?
Beaucoup de parents fuient la technologie. Je préfère m’intéresser à ces supports (vous connaissez mon côté nature. Mais vous ai-je déjà parlé de mon côté geek…?) pour les comprendre et ainsi savoir conseiller, sécuriser et guider mes enfants vers le monde de demain. Pourquoi nous accrochons-nous à ce qui semblait bon “avant” ?

Lorsque mon père était tout jeune, sa grand-mère le réprimandait si elle le surprenait à… lire une bande-dessinée ! Ce format de lecture, pourtant de nos jours considéré comme le 9ème art, lui semblait infantilisant, de piètre qualité et moins distingué qu’un livre plus complexe et sans images.


Visite interactive du palais des Papes, à Avignon, 2020.

Notre vision de l’enfance à changé, nous nous mettons plus facilement à la hauteur des plus jeûnes. Je trouve que les histoires, dessin-animés ou jeux vidéos de nos jours s’adaptent bien aux élans spontanés et joie et de plaisir propres aux petits humains. Il y en a pour tous les âges et tous les goûts, les enfants grandissent à leur rythme, on recherche leur bien-être et leur épanouissement. On n’essaye plus d’en faire de mini-adultes sérieux comme du temps de mon arrière-grand-mère. Notre société a évolué, et elle évolue encore dans ce sens. Ces enfants une fois adultes auront une autre perception du monde, ils créeront de nouveaux types de métiers, que je leur souhaite épanouissant et tournés vers leurs passions.

C’est d’ailleurs déjà ce qui se passe, je vois tant de gens se mettre à vivre de ce qui les fait vibrer, de ce dans quoi ils sont doués !

Après avoir comprit comment les mots se déchiffraient et se composaient à l’aide du début de la méthode de lecture syllabique en B.D. que nous avons créé ensemble, Nohan et Shani ont appris à lire par eux-mêmes. L’année dernière, Shani a voulu passer (avec l’accord de la direction) de nombreuses demi-journées dans une école alternative de notre quartier, dans le but de se faire de nouvelles amies. Je me suis dit que c’était une super expérience et une bonne occasion de voir si elle pouvait suivre le niveau des enfants de son cycle (niveau CE2). L’enseignante a travaillé avec elle et m’a fait un retour complet, estimant qu’elle était tout à fait à jour et qu’elle se débrouillait bien, que notre travail à la maison était efficace. Ça m’a fait rire intérieurement : je n’y étais pas pour grand chose ! J’ai demandé à Shani comment elle avait apprit le bon orthographe des mots. A part avec moi, elle ne lisait pas énormément de livres à l’époque ; mais elle écrivait beaucoup de sms à ses grands-parents et à ses amies. Elle m’a expliqué qu’elle utilisait le correcteur automatique : “lorsque j’écris les premières lettres, plusieurs possibilités de mots s’affichent dessous, et je dois reconnaître le bon. Après, je m’en souviens”.

Pour l’écriture à la main, c’était pareil : elle n’avait jamais fait de cahiers dédiés à la formation des lettres. Oh j’avais bien essayé de lui en faire faire ! Mais elle refusait systématiquement ces, je cite : “trucs nuls et ennuyants”. Alors, je l’incitais simplement à dessiner. Cela, c’était facile : je dessine moi-même beaucoup et elle adorait dessiner à mes côtés. Sa chambre regorge de carnets à dessins ! Lorsqu’elle a participé à la classe de CE2, son poignet déjà bien rodé a très rapidement su écrire des phrases et des paragraphes entiers. Après tout, l’écriture n’est qu’une forme de dessin 🙂 ! Cette année, elle s’est procuré un joli agenda qu’elle tient comme un journal intime, avec des stylos multicolores et à paillettes. Lorsqu’elle s’interroge sur l’écriture d’un mot, elle nous demande ou cherche sur le téléphone.

Chaque chose en son temps.

Un dernier aspect est à prendre en compte : il y a bien des sujets que l’école a essayé de nous enseigner lorsque nous étions enfants et qui nous semblaient totalement rébarbatifs, tandis que des années plus tard, une fois adultes, nous les percevons autrement et nous nous y intéressons sérieusement. Nous nous rappelons alors vaguement en avoir entendu parler à l’école, avoir tout apprit “par cœur” pour un contrôle, puis avoir tout oublié, faute de réel intérêt…

Visite d’un camp de légionnaires romains reconstruit, près de Dijon, été 2020.

Il y a un temps pour tout.

Peut-être est-ce une erreur que de croire que si l’enfant n’acquiert par telle connaissance bien corsée à tel âge, il ne sera jamais cultivé. Je pense que la culture peut lui être transmise d’une autre façon : simplement par immersion, sans attendre de lui qu’il comprenne ou retienne tout ce qu’il voit, qu’il sache des formules compliquées, dates précises ou événements historiques liés… mais en lui permettant d’appréhender la globalité, en lui laissant de bonnes impressions et en le laissant vivre des expériences ludiques en rapport avec ces thèmes, ce qui l’incitera plus tard dans sa vie à aller approfondir ces sujets lorsqu’il en aura l’envie ou la nécessité. Ou jamais ! Qui sait où ses pas le mèneront ?

Au fond, ce qui me semble vraiment important est que mes enfants gardent confiance en l’appétit de découverte qui les anime. Donnons du terreau à leur curiosité et offrons-leur les clefs pour l’épanouir, pour aller plus loin. C’est ainsi que, plutôt que de les ballotter d’une connaissance forcée à l’autre, nous leur apprenons à apprendre , à aimer aller vers de nouvelles découvertes et à savoir comment trouver les informations qu’ils recherchent.

Et c’est ainsi selon moi que nous créons des êtres ayant confiance en eux-mêmes, heureux, auto-suffisants, capables de s’insérer dans le monde, acteurs de leur vie et de la société de demain.